La musique dans l’évolution de l’Homme

Dans toutes les civilisations, dans toutes les sociétés, la musique fait partie de nos vies et de notre évolution. Tout comme le langage, la musique a évolué dans un besoin de coopération et de communication pour subvenir aux besoins et assurer la cohésion de la communauté. La musique a une place capitale dans l’évolution de l’homme. C’est la musique qui prédispose l’homme à communiquer par le langage et à acquérir une flexibilité sensorielle. Il est important de favoriser les activités musicales dès le plus jeune âge afin de développer la propre conscience de l’enfant et sa conscience qui l’a de l’autre.

La musique favorise le lien social

Selon J. Bruner (1987) l’enfant se manifeste en tant qu’être social en se dirigeant aussitôt vers les autres êtres humains. C’est au fil des échanges avec les personnes qui composent son entourage, dans des situations de la vie quotidienne que l’enfant développe ses fonctions cognitives. De nombreuses interactions comme chanter, écouter, jouer, inventer, danser, imiter, sont proposées à l’enfant autour de la musique. Dès qu’il entend une musique, une chanson, l’enfant s’arrête et cherche d’où proviennent ces sons (Ilari 2002). Lorsqu’une mère et son bébé communiquent, ils le font de façon musicale en s’appuyant sur la prosodie de la langue (Molloch et Trevarthen, 2009). Trehub et Gudmundsdottir (2019) suggèrent que les mères faisant vivre des expériences musicales par le chant nourrissent le lien mère/enfant. Lorsque les enfants partagent des interactions musicales, ils renforcent leur lien d’attachement, ils apprennent à reconnaitre et à réguler leurs émotions. Ils développent leur fonctionnement sensoriel et leur représentation du monde (Foran, 2009). L’interaction musicale, le développement cognitif et les interactions sociales se stimulent les uns avec les autres. Les interactions musicales partagées entre enfant et parents génèrent des interactions sociales positives. Cette participation active est essentielle pour l’apprentissage de nouvelles connaissances. (Gerry et al 2012). La musique est capable d’exprimer des attitudes et des émotions. Elle nous sensibilise aux états internes d’autrui, elle nous fait prendre conscience que l’autre est différent de nous. Elle nous permet de partager des sentiments, comme si les personnes étaient en parfaite harmonie les unes avec les autres. Cross et al., (2012) ont mis en relation la musique et les émotions afin de décrire les mécanismes particuliers qui peuvent susciter l’empathie. Il semble que la musique rend possible l’alignement de nos propres états émotionnels avec ceux des autres.

Ils ont observé trois mécanismes :

Ces auteurs ont souligné le fait que les membres du groupe doivent apprendre à faire preuve d’une grande souplesse afin de rester ensemble et prendre plaisir à écouter de la musique. De plus, ils ont suggéré que la participation active à musique contribue à l’alignement de nos propres états émotionnels à ceux des autres et donc de donne lieu à un sentiment de communauté empathique. L’engagement dans une activité musicale peut donc jouer un rôle important dans la créativité empathique. Elle fait appel à des notions comme l’imitation, l’entraînement, la flexibilité qui nous permettent de passer de son propre état émotionnel à la perception de celle de l’autre, tout en donnant la possibilité aux participants de garder leur propre état émotionnel. Ces pratiques musicales et éducatives semblent entraîner des conséquences sur les capacités sociales. Cette création musicale favorise la cristallisation et renforce les capacités à identifier les émotions d’autrui lorsqu’ils sont engagés dans la musique.

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Les jeux musicaux

Dans les domaines de l’éducation et de la psychologie, le jeu est, de longue date, considérer comme un moyen d’apprentissage et de développement. C’est au travers du jeu que l’enfant fait des découvertes et commence ses premières réalisations. Le jeu lui permet d’apprendre les règles, les coutumes et les valeurs de son milieu social et culturel. Avec le jeu, l’enfant découvre son environnement. Il développer un savoir-faire et un savoir-être. Ces activités ludiques contribuent au développement des différentes caractéristiques : Sensorielle, motrice, cognitive, affective et sociale. Le jeu est aussi favorable au développement de l’autonomie, de la créativité, et de la capacité d’adaptation et de la conscience. Dans le jeu, l’enfant résout des difficultés et s’adapte facilement aux situations inattendues.

Marsh et Young (2006) définissent les jeux musicaux comme des activités initiées par les enfants. Ce qui est frappant dans tous les contextes, c’est la façon dont les enfants créent leurs propres activités musicales à partir de ce qui est disponible et montrent un besoin de répéter leurs expériences favorites afin d’approfondir leurs connaissances. C’est au travers de ces jeux que l’enfant découvre les aspects importants du monde social et physique qui les entourent. Dans les crèches et les établissements préscolaire, il est fondamental d’encourager les jeux musicaux tels que le chant, les mouvements rythmiques, la fabrication de sons. Une caractéristique clé de ces jeux est la multimodalité. Ils font intervenir le visuel, le kinesthésique, et l’auditif. Les jeux autour de la musique participent à l’interaction sociale. Ils sont une forme essentielle de communication. La musique est un moyen de jouer avec les autres. Lors de ces activités musicales, ils peuvent synchroniser leurs mouvements rythmiques avec ceux des autres. Au travers des jeux musicaux, les enfants prennent conscience de l’importance de la collaboration et la cohésion au sein des groupes.

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La musique et fonctions exécutives

Les fonctions exécutives sont au centre de toutes les activités. Pour atteindre nos objectifs, il est important de mobiliser nos fonctions exécutives que sont l’inhibition, la flexibilité cognitive et la mémoire de travail. Ces trois fonctions donnent la possibilité à notre cerveau de contrôler l’ensemble des processus et des stratégies afin de nous permettre de résoudre toutes sortes de problèmes. Les activités, comme les programmes scolaires, le jeu, le sport la peinture, et la musique, favorisent le développement des fonctions exécutives et les fonctions exécutives permettent la réalisation d’activités comme jouer avec les idées, rester concentrer, réfléchir avant de donner une réponse et prendre conscience. A partir, de ces fonctions exécutives se construisent d’autres fonctions exécutives de haut niveau comme la planification, le raisonnement, la résolution de problème, l’élaboration de stratégie. Ces fonctions exécutives sont fondamentales dans la réussite scolaire, la gestion des émotions et dans la vie de tous les jours. Jose Antonio Abreu souligne que l’engagement actif dans un programme musical a une incidence sur les fonctions exécutives. Les activités autour de la musique sont des activités multiformes et multisensorielles qui favorisent le développement des fonctions exécutives.

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La musique au service de la thérapie

La musique joue un rôle fondamental sur la plasticité cérébrale. La musique a donc un statut particulier pour l’espèce humaine. Le pouvoir émotionnel de la musique nous permet de communiquer avec autrui, sans parole. De nombreuses recherches en neurosciences ont démontré que la musique a des effets sur des pathologies très variées (comportementales, psychologiques, psychiatriques, neurologiques, sensorielles motrices). Le pouvoir relationnel de la musique permet aux personnes atteintes de maladie de se reconnecter à la réalité. Les activités musicales jouent un rôle important dans le développement psycho-affectif et cognitif ce qui montre que la musique serait une aptitude cognitive archaïque, beaucoup plus résistante aux atteintes cérébrales. Les activités autour de la musique sont essentielles pour la rééducation des troubles neuropsychologiques qui proviennent de lésions cérébrales. La musique modifie et réorganise le fonctionnement cérébral. En cas d’aphasie, la musique permet à certaines compétences linguistiques d’être transférées de l’hémisphère gauche du cerveau à l’hémisphère droit. Certains troubles moteurs après un accident vasculaire peuvent s’améliorer par l’apprentissage du piano. Cette pratique musicale donne la possibilité d’une réorganisation du cortex moteur en stimulant le cortex auditif et le cortex moteur.

L’étude de Rochette et collaborateurs (2009) a démontré que la stimulation sensorielle par la musique avait des effets sur positif sur l’entraînement auditif d’enfants mal entendants. Cette recherche révèle qu’après 16 semaines de jeux interactifs autour de la musique, les enfants présentent des progrès dans la discrimination et l’identification de sons et la mémorisation auditive ainsi qu’un transfert de bénéfices sur d’autres domaines linguistiques. De plus, des tests ont été menés 6 mois plus tard, indiquent que les enfants n’ont rien perdu de leurs performances. Cela indique que les améliorations sont bien dues à l’entraînement musicale et restent stable dans la durée.

Les composantes rythmique et mélodique de la musique peuvent participer à la remédiation du langage chez des personnes aphasiques. Racette et collaborateurs (2006) ont observé que les patients aphasiques produisaient plus facilement des phrases en chantant qu’en parlant, plus particulièrement si elles sont énoncées à l’unisson avec un modèle. Le fait de chanter à plusieurs donne du plaisir au patient, mais pas seulement, cela lui permet de créer une synchronisation rythmique avec un modèle ce qui favorise la production. Overy (2003) et Habib et Besson (2008) ont souligné l’importance de la musique chez les enfants dyslexiques. Les exercices musicaux leur donnent la possibilité de perfectionner les mesures de reproduction de structures rythmiques(tapping), le traitement auditif rapide et la conscience phonologique.

L’écoute de la musique chez des patients victimes d’amnésie après un traumatisme crânien a permis l’amélioration des habiletés d’orientation (Baker 2001). Johnson et collaborateurs (1998) ont démontré un réel progrès pour des patients atteints de la maladie d’Alzheimer dans les tâches spatio-temporelles après écoute de Mozart en comparaison à des moments de silence ou à l’écoute de chansons populaires des années 1930. Pour Särkämö et collaborateurs (2008), l’écoute de la musique quotidienne durant deux mois, chez les patients ayant subi un accident vasculaire cérébral a permis un changement favorable de la mémoire verbale et de l’attention sélective. De plus, trois mois après la fin du protocole, les effets sur la cognition étaient toujours présents.

La musique aide à maintenir ou rétablir un lien de communication avec les patients déments (Ogay et collaborateurs 1996). Norberg et collaborateurs (2003) ont démontré que deux patients sur trois en stade final de démence ont une réaction à la musique en comparaison à une stimulation tactile ou visuelle.

La musique en thérapie est utilisée de manière différente en fonction des pathologies. Le premier objectif est l’amélioration de l’humeur, des comportements et de la communication donc du bien être des patients, entraînant parfois indirectement des transformations du fonctionnement cognitif global.

Le deuxième objectif ancré dans un cadre théorique neurologique et cognitif afin d’exploiter les liens spécifiques entre la musique et les fonctions du cerveau altérée.

En conclusion

La musique, plus qu’un art, est un véritable langage universel accessible à tous les individus. La musique est omniprésente dans toutes les sociétés, elle fait partie de toutes les activités quotidiennes. C’est un moyen de communication, de création, elle permet aux individus d’exprimer leurs émotions et leurs idées. Elle renforce la cohésion sociale au travers d’interactions musicales.
L’écoute et la pratique de la musique sont des activités multimodales impliquant des processus perceptifs, moteurs, sensoriels, émotionnels et cognitifs qui sont associés à des réseaux neuronaux complexes. Elles sont capables de modifier la structure et les fonctions cérébrales, induisant ainsi des processus de plasticité cérébrale. Elles améliorent non seulement les capacités musicales mais aussi les capacités motrices, langagières et mémoriels.
La musique est, pour l’enfant, une activité de socialisation et d’éveil. Les activités récréatives autour de la musique au moment de l’âge préscolaire encouragent les enfants à découvrir, explorer et acquérir de nouvelles connaissances. La musique et le langage semblent être des images miroirs, chacun jouant un rôle important dans le développement de l’autre.
Les premières recherches sur la musique et les fonctions cognitives étaient fondées sur l’écoute de la musique, les participants adoptaient une attitude passive. A l’heure actuelle, les études portant sur la musique sont élaborées autour d’interactions musicales. Ce n’est plus de l’écoute passive mais un engagement participatif autour de la musique. Les activités musicales autour de la multi-sensorialité permettent de développer des capacités cognitives, perceptives et sociales et stimulent les intelligences plurielles. Ces jeux musicaux favorisent des aptitudes attentionnelles : auditives, visuelles et de concentration. Les interactions musicales accentuent les sens afin de développer les fonctions cognitives primaires et secondaires. Aujourd’hui, il est important de considérer ces jeux musicaux soit en complémentarité aux apprentissages de base, soit en discipline fondamentale. Etant donné que la musique ouvre l’esprit, stimule la créativité et développe les fonctions cognitives dans de nombreux autres domaines que la musique. Ces jeux musicaux facilitent l’apprentissage en favorisant la plasticité cérébrale et en développant les fonctions cognitives mais aussi ils génèrent de la motivation, du plaisir, de la créativité toutes ces aptitudes neurocognitives qui incitent les enfants à apprentissage. Il éprouve du plaisir dans les apprentissages, pour le convertir en envie, curiosité et action. La nécessité de combiner la musique, les arts visuels et les arts généraux vers un modèle d’éducation mixte, cela met l’accent sur l’importance des arts dans la culture humaine et soutient durablement l’influence positive des arts dans le développement cognitif.

L’utilité de la musique dans les différentes pathologies est bien établie tant sur le plan comportemental que neurophysiologique.

Les thérapies musicales sont de plus en plus étudiées par la recherche. Les résultats de ces études sont prometteurs, d’autant que ces thérapies sont non invasives, peu couteuses et facile à mettre en place et accessible à tous.

chantalcs

Actuellement chargée de recherche et de pédagogie auprès du réseau d’accueil CAP ENFANTS.
Pendant 15 ans, Chargée de recherche à Paris 5 dans les laboratoires : MoDyCo, Modèles, Dynamiques, Corpus LEAPLE, laboratoire d’études sur l’acquisition et la pathologie du langage chez l’enfant. Dynalang, laboratoire de sociolinguistique.
Depuis 20 ans enseignante/chercheur en linguistique et psychologie du développement chez l’enfant au sein des universités Paris 5, Paris 6 et Nanterre.
Cette synergie entre toutes mes expériences m’a permis d’acquérir une expertise afin de vous accompagner dans votre situation de parents, dans votre expérience d’adolescents et jeunes adultes, et dans votre pratique de chercheur.

Pour aller plus loin

Bruner, J., (1987). « Comment les enfants apprennent à parler », traduction de J. Piveteau et J. Chambert, Paris, Retz.

Baker, F., (2001). The effects of live, taped, and no music on people experiencing post traumatic amnesia. Journal of Music Therapy, 38, 170-192.

Cross, I., Laurence, F. et Rabinowitch, T.C., (2012). Empathie et créativité dans les pratiques musicales de groupe : vers un concept de créativité empathique (p. 337).

Foran, L. M., (2009). Listening to music: Helping children regulate their emotions and improve learning in the classroom. Educational Horizons, 88(1), 51–58.

Gerry, D., Unrau, A., and Trainor, L.J., (2012). “Active Music Classes in Infancy Enhance Musical, Communicative and Social Development: Active Music Classes Enhance Development.” Developmental Science 15 (3) : 398–407.

Habib, M., & Besson, M., (2008). Langage, musique et plasticité cérébrale : Perspectives pour la rééducation

Ilari, B., (2002). “Music and Babies: A Review of Research with Implications for Music Educators.” Update: Applications of Research in Music Education 21 (2): 17–26.

Malloch, S., & Trevarthen, C.,(2009). Musicalité communicative. Explorer les bases de la compagnie humaine, 1752-0118.

Marsh, K., and Young, S., (2006). “Musical Play.” In The Child as Musician, edited by Gary McPherson, 289–310. New York: Oxford University Press.


Martel, Karine, Caracci, Ch., and Le Normand, M.T.
, (2020). “La Prosodie de L’enfant à L’interface de la Musique et de la Parole.” Enfance ; Psychologie, Pédagogie, Neuropsychiatrie, Sociologie 4 (4) : 451.

Norberg, A., Melin, E., & Asplund, K., (2003). Reactions to music, touch, and object presentation in the final stage of dementia: an exploratory study. International Journal of Nursing Studies, 40, 473-479.

Ogay, S., Ploton, L., & Menuhin, Y., (1996). Alzheimer, Communiquer grâce à la musicothérapie. L’Harmattan.

Overy, K., (2003). Dyslexia and music. From timing deficits to musical intervention. Annals of the New York Academy of Science, 999, 497-505.

Racette, A., Bard, C., & Peretz, I., (2006). Making non-fluent aphasics speak: Sing along! Brain, 129, 2571-2584.

Rochette, F., & Bigand, E., (2009). Longterm effects of auditory training in severely or profoundly deaf children. Annals of the New York Academy of Science, 1169, 195-198.

Särkämö, T., Tervaniemi, M., Laitinen, S., Forsblom, A., Soinila, S., Mikkonen, M., & Hietanen, M., (2008). Music listening enhances cognitive recovery and mood after middle cerebral artery strocke. Brain, 131, 866-876.

Trehub, S.E., & Gudmundsdottir, R.H., (2015). Les mères comme mentors de chant pour les nourrissons. Parution en ligne. Presse universitaire d’Oxford.